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La résilience du diamant Gabrielle Boulianne-Tremblay
« La fille de la foudre, ce n'est pas le roman que je voulais écrire », laisse tomber Gabrielle Boulianne-Tremblay au sujet de son nouveau livre, la suite attendue de La fille d'elle-même. « La fille de la foudre, c'est le livre que j'avais besoin d'écrire. » Rencontre avec une femme brillante, dans tous les sens du terme.
Gabrielle Boulianne-Tremblay aurait difficilement pu rêver de mieux. Avec La fille d'elle-même, son premier roman, paru en février 2021, elle est non seulement devenue une des porte-parole les plus respectées de la communauté trans, mais aussi, surtout, une écrivaine à part entière, lauréate en plus de quelques prestigieuses récompenses comme le Prix des libraires du Québec et le Prix Bibliothèque et Archives Canada.
« Je suis contente, d'un point de vue social, dit-elle un peu plus de quatre ans plus tard, parce que le livre s'est beaucoup lu en dehors de la sphère LGBTQ+. J'ai reçu plusieurs témoignages de la part de parents qui m'ont dit que ça les avait aidés à comprendre ce que vivaient leurs enfants. »
Mais pour une personne trans, effectuer une transition de genre, comme celle que ce premier roman mettait poétiquement en récit, ne signifie pas pour autant que tout ne sera désormais que bonheur, douceur et allégresse.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Gabrielle Boulianne-Tremblay
Dans La fille de la foudre, Gabrielle Boulianne-Tremblay renoue avec son alter ego autofictif qui collectionne les problèmes de dépendance, incapable de se passer de la chaleureuse morsure de l'alcool et de la corrosive chaleur des hommes.
Croyait-elle qu'une fois son identité de femme affirmée, il ne resterait plus qu'à être heureuse ? Elle sourit. « Je pense que oui. » Silence. « Il y a une partie de moi qui était très optimiste, enthousiaste là-dessus. »
Un rêve qu'on ne rêve plus
Si La fille d'elle-même répondait à la question « Qui suis-je ? », La fille de la foudre creuse donc plus loin. « De quoi suis-je composée ? », s'y demande celle pour qui l'autofiction est un sport extrême, généreux en angoisse – « je me demande tout le temps si le parachute va s'ouvrir » –, mais aussi en occasions de mieux se comprendre et, par le fait même, de se sentir plus vivante que jamais.
À travers des années de thérapie, Gabrielle Boulianne-Tremblay aura également appris qu'elle vit avec un trouble de la personnalité limite, qu'elle soignait tant bien que mal grâce à l'effervescence du champagne et à l'ivresse des corps. Autant de succédanés à une réelle compréhension de soi, autant d'occasions de s'éviter.
Ou, si vous préférez, dans les mots qu'emploie sa narratrice : « Quand est-ce que je suis devenue aussi froide qu'un rêve qu'on ne rêve plus ? »
« C'est une question que je me suis tellement posée », confie l'autrice et actrice, sobre depuis maintenant bientôt quatre ans. « J'avais des aspirations, des rêves, mais on dirait qu'avec l'alcool, j'avais dévié de ma trajectoire. J'étais devenue une espèce d'empreinte de moi-même, comme un calque. »
Protéger l'enfant
Gabrielle Boulianne-Tremblay contemple souvent une petite photo de l'enfant qu'elle a un jour été. « Chaque fois que je traverse des moments difficiles, chaque fois que j'ai peur, je regarde cette photo et je me rappelle que je dois être, au présent, la personne qui aurait pu me protéger. »
Alors que la publication de La fille d'elle-même semblait accompagner une période d'ouverture face aux personnes trans, La fille de la foudre paraît au moment où le climat sociopolitique fait craindre le pire à l'autrice. Cette exténuante impression que rien n'est jamais gagné taraude aussi son incarnation livresque, incapable d'échapper à un air du temps aux parfums délétères.
On a fait tant de progrès et là, on assiste à un retour du balancier avec la montée de l'extrême droite un peu partout dans le monde, mais ici aussi avec des projets de loi transphobes, avec des chroniques transphobes publiées dans de grands journaux. Mes sœurs et mes frères sont ostracisés, démonisés, déshumanisés. Et moi, ça me fait mal quotidiennement.
Gabrielle Boulianne-Tremblay
Puis c'est sur un ton banal qu'elle prononcera la phrase suivante, qui ne l'est pourtant pas du tout : « Il m'est arrivé dans les dernières années de perdre le goût de vivre. »
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Gabrielle Boulianne-Tremblay
Mais, chaque fois, Gabrielle aura pu compter sur sa plus fidèle amie, l'écriture. « L'écriture me sauve tout le temps », résume-t-elle avec un sourire soudainement solaire. « C'est un refuge. Parce que ce n'est pas toi qui écris le roman, c'est le roman qui t'écrit. »
La blessure du paysage
C'est qu'au-delà de la thérapie, c'est le travail des mots qui lui aura permis de cartographier son monde intérieur. Le roman a d'ailleurs bien failli s'intituler La faille d'elle-même, titre rejeté afin de ne pas alimenter la confusion en librairie avec La fille d'elle-même. Mais qu'à cela ne tienne, La fille de la foudre arpente bel et bien une faille. Gabrielle croit-elle l'avoir colmatée ?
« Je compose avec le paysage », répond-elle joliment avant de parler de son coin de pays, Charlevoix, et de son astroblème, ce cratère météoritique provoqué par un impact survenu il y a 400 millions d'années. Un cratère qui aura profondément défini la région.
Si on remonte à la racine grecque du mot 'astroblème', on se rend compte que 'blème' vient de blema, qui veut dire blessure ou cicatrice. Mon personnage vit son propre choc météoritique, et après, elle doit faire la paix avec la cicatrice, peut-être même la célébrer.
Gabrielle Boulianne-Tremblay
Infusé par la fascination de Gabrielle pour la formation des minéraux, La fille de la foudre est ainsi à la fois célébration d'une singularité et récit d'une aspiration universelle au bonheur. Dans le dernier quart du livre, sa narratrice rend visite à sa mère, des chapitres d'une simple et consolante beauté.
« C'est un roman qui peut être lourd par moments, explique-t-elle, et je tenais à montrer que c'est possible d'accéder à un certain bonheur, que tout le monde est digne d'un bonheur stable. »
Gabrielle me laisse avec cette dernière pépite de sagesse : « Dans leur composition, il n'y a pas une grande différence entre le charbon et le diamant. » Elle sait trop bien à quel point ce qui hier se consumait peut aujourd'hui briller.